Chais d’œuvres
L’architecture viti-vinicole est un sujet particulièrement prégnant dans la région bordelaise. Il s’agit d’un exercice passionnant, tant architecturalement que culturellement. Les « chais d’œuvres » – l’expression n’est pas de nous – que l’on voit fleurir au cœur de la ruralité en sont le témoignage.
Du paysage monotone créé par l’alignement régulier des rangs de vignes émerge un volume métallique rougeoyant ; l’extension du chai du Château La Dominique, construit par Moon Safari et les Ateliers Jean Nouvel en 2014, accueille sur son toit la terrasse d’un restaurant gastronomique, belvédère ouvert sur l’horizon et le paysage de Saint Emilion. Les lames métalliques, conçues par l’artiste Anish Kapoor, reflètent leur environnement et le ciel. Dans le prolongement de la maison de maître en pierre, le nouveau cuvier vient au contact de la vigne, en une volumétrie pure.
Ce projet a soulevé en creux des questionnements liés à toute l’architecture viti-vinicole : comment faire dialoguer harmonieusement tradition et modernité, comment insérer une technologie de production dans un environnement bâti ancien, comment ouvrir les domaines à de nouvelles pratiques et de nouveaux publics ?
Depuis les années 80, le vignoble bordelais est devenu le terrain de jeu des plus brillants architectes du monde. A la suite des domaines de la Napa Valley qui les sollicitent déjà depuis les années 60, les grands propriétaires bordelais affichent de nouvelles ambitions pour l’extension ou la rénovation de leurs domaines. Cette préoccupation pour l’architecture des bâtiments dédiés à la viniculture remonte au XIXe siècle avec la publication de traités d’architecture et la production de toute une littérature dédiée au sujet.
Ce milieu rural, et qui plus est agricole, concentre aujourd’hui un nombre impressionnant de réalisations d’architectes de renommée internationale : Jean Nouvel, Ricardo Bofill, Mario Botta, Herzog et de Meuron, Norman Foster, Christian de Portzamparc, Jean-Michel Wilmotte.
Si le vin est un produit inclassable et ancestral, les vignerons désirent aujourd’hui lui apporter une dimension nouvelle, culturelle, touristique. Les demeures privées deviennent alors vitrines marketing. Les domaines accueillent tantôt un restaurant, tantôt un espace d’exposition, et proposent des visites et parcours œnologiques. En effet, si autrefois, les visites des chais étaient réservées à un public de professionnels et d’initiés, les châteaux s’ouvrent aujourd’hui à un public plus large, désireux d’en apprendre plus sur le vin. Ils s’adaptent, inévitablement, à la globalisation et aux contraintes de l’œnotourisme mais avec l’envie de démocratiser leur produit et de transmettre leur histoire.
Dans cette volonté d’initier le grand public, le vin s’associe à l’art, à l’instar du Château La Dominique qui propose un espace d’exposition et dont l’esthétique fait écho à une œuvre d’art contemporaine. Nous assistons à « l’artification » de l’univers du vin et nous en sommes les complices.
« Le bon ne se doit-il pas d’être beau ? Tel est le lien entre l’art et le vin. »
Philippe de Rothschild
L’architecture devient alors un véritable outil de communication, et permet également au château de se singulariser. Dans ce milieu ultra concurrentiel qu’est celui du vin, se distinguer de son voisin par une architecture singulière est déjà, en soi, une proposition culturelle susceptible d’attirer de nouveaux prospects.
Outre le prestige apporté par l’esthétique, nous avons à cœur de nous adapter face aux nouvelles exigences technologiques, et d’apporter dans nos propositions l’innovation nécessaire à la prospérité des vignobles. La modernisation constante des installations oblige à envisager l’insertion de nouvelles techniques et technologies à l’intérieur de bâtiments chargés d’histoire et souvent peu fonctionnels. L’architecture ne doit pas seulement créer un bel objet mais également répondre à des contraintes techniques de fluides, de thermie, de réglementation. L’hygrométrie des chais et des cuviers est par exemple une question cruciale.
Par ailleurs, les rénovations de bâtiments anciens induisent aujourd’hui une approche environnementale forte. Le vin est un produit agricole soumis aux aléas du climat, aussi les châteaux sont-ils plus enclins à afficher les efforts fournis en matière d’écologie, qu’il s’agisse de la production de leur vin ou de la conception de leurs bâtiments. Être un domaine respectueux de l’environnement passe également par une conception éco-responsable de l’architecture. Certains projets tendent à s’intégrer dans le paysage viticole, à se fondre dans le décor, en végétalisant les toitures, en privilégiant les matières naturelles comme le bois ou en reflétant leur environnement.
L’architecture viti-vinicole est à l’image de ce produit hors du commun qu’est le vin ; elle mêle luxe et terroir, art et technicité.